Par Sophie Degoix :
Comment pouvez-vous aider votre interlocuteur à grandir, à s’enrichir, à changer de posture ? Comment pouvez-vous modifier le comportement et l’engagement de vos collaborateurs, de vos clients ? Comment pouvez-vous obtenir des résultats plus impactants ?
L’une des clés est de formuler des questions suffisamment puissantes et confrontantes pour provoquer chez votre interlocuteur un «bug cérébral» qui va lui permettre de reconsidérer ses certitudes et d’explorer d’autres chemins.
Socrate, avec la maïeutique (l’art d’accoucher les âmes), ne cessait de questionner ses disciples afin de les inciter à remettre en question leurs idées habituelles. Ses questions démontaient les concepts qui sous-entendaient les argumentations pour pousser encore plus loin les réflexions et développer la pensée critique. D’ailleurs, Socrate offrait ses questions comme des cadeaux à ses disciples, ce qui les rendait plus importantes que les réponses elles-mêmes.
Einstein, également, portait une attention particulière aux questionnements : « Si je disposais d’une heure pour résoudre un problème et que ma vie en dépende, je consacrerais les 55 premières minutes à définir la question appropriée à poser, car, une fois cela fait, je pourrais résoudre le problème en 5 minutes. »
Il a, ainsi, découvert la théorie de la relativité en sortant des schémas de pensée habituels et en se posant une question qui a complètement modifié notre compréhension de l’univers et de la gravité : « À quoi l’univers ressemblerait-il si je me déplaçais à la vitesse de la lumière ? »
Une question pertinemment posée peut donc bousculer notre mode de pensée et être à l’origine d’une découverte révolutionnaire.
Comment distinguer une question classique d’une question puissante ?
Tout d’abord, une question puissante est une question ouverte, c’est-à-dire qu’elle donne la possibilité d’avoir une infinité de réponses. Avec de puissantes questions ouvertes, ni le demandeur ni le répondant ne connaissent la réponse. Elles permettent, donc, si elles sont aidantes, de faire émerger une idée inédite en activant la créativité de l’interlocuteur. Elles impliquent les personnes et développent la coopération et l’engagement.
Mais, force est de constater que, dans notre quotidien, 80 % de nos questions sont fermées. Elles commencent soit par un verbe, soit par « Est-ce que » ou « Y-a-t-il », ou bien encore par une assertion négative « Ne pensez-vous pas que » et requièrent une réponse par « oui » ou « non »
En posant des questions fermées, votre intention est de valider votre mode de pensée, (« Ne pensez-vous pas que le télétravail est source de responsabilisation ? »), de prendre le contrôle (« Pouvez-vous relancer vos clients ? ») ou de fixer un cadre (« Êtes-vous d’accord ? »). Ce type de questionnement ne vous permet pas d’élargir votre compréhension du monde, et ne développe pas non plus le niveau de réflexion de votre interlocuteur mais le déresponsabilise et le désengage.
En transformant vos questions fermées en question ouvertes, vous transformez également la posture de votre interlocuteur. Par exemple, « Pouvez-vous relancer vos clients ? » induit une réponse déresponsabilisante avec un « oui » ou un « « non ». En revanche, si on la modifie en « Qu’allez-vous mettre en place comme actions pour ne plus avoir à relancer vos clients ? », alors elle prend une autre dimension et redonne du pouvoir à l’interlocuteur. De simple exécutante, la personne qui répond va modifier son état d’esprit et utiliser ses capacités de réflexion et de créativité pour trouver sa propre solution au problème.
Une question puissante va ainsi vous permettre de sortir de vos schémas de pensée habituels et d'envisager d'autres champs des possibles. Si vous posez toujours les mêmes questions, vous obtiendrez toujours les mêmes réponses et vous serez limité dans vos possibilités. Alors que, en questionnant vos certitudes, vous bannissez vos réponses définitives, celles qui vous confortent dans vos croyances, dans votre vision du monde et vous limitent dans votre développement. Vous découvrez qu’il n’y a plus une seule vérité mais plusieurs, à partir desquelles en jaillissent d’autres. La bonne question devient un catalyseur de développement d’idées, stimulatrice de créativité.
Il est d’ailleurs frappant de constater que les leaders les plus créatifs, ceux qui contribuent aux changements du monde, sont ceux qui (se) posent le plus de questions. Elon Musk, par exemple, privilégie le questionnement aux réponses : pour aborder l’innovation, il commence par formuler la question qu’il souhaite adresser. Il développe ensuite des hypothèses, qu’il reconsidère une nouvelle fois par une autre question, jusqu’à ce que la réponse soit « probablement vraie ». Il remet donc sans cesse en question ses idées, ses réponses, ses conclusions, sans tenir compte des évidences, des croyances et des habitudes.
Un questionnement donnant-donnant
Un bon questionnement va déterminer également la qualité de vos relations. Questionner va vous permettre de rentrer en contact avec quelqu’un, d’appréhender son monde et d’enrichir le vôtre. Cela vous permet de comprendre qu’il n’y a pas une seule vérité, que chacun a des perceptions différentes de la réalité, et vous accueillez celles des autres comme point de départ d’une nouvelle réflexion. En privilégiant la connexion et les échanges constructifs, vous comprenez mieux les besoins et les attentes de l’autre personne et vous pouvez donc mieux y répondre. Vous développez votre empathie et votre tolérance.
Un autre objectif du questionnement puissant est de développer votre capacité à impliquer votre interlocuteur et à le mettre en mouvement. Les questions posées vont l’aider à trouver son chemin et à faire son premier pas. Par exemple, avec des questions confrontantes, vous pouvez faire bouger les référentiels : « Quelles nouvelles habitudes allez-vous mettre en place pour développer un état d’esprit positif ? » ou « Comment votre singularité va contribuer à rendre ce projet exceptionnel ? ».
D’autre part, pour éviter les justifications, vous devez limiter les questions commençant par « Pourquoi », sauf si vous demandez à votre interlocuteur d’y répondre avec « pour » (et non pas « parce que »). En faisant cela, vous aller cherchez sa motivation, son sens et non pas une justification qu’il se sent obligé de donner et qui le place en position défensive. Par exemple, à la question, « Pourquoi faites-vous comme ça ? », préférez « Quel est le bénéfice de faire comme ça ? ».
Pour développer sa motivation et aller chercher ses valeurs, vous pouvez poser une autre question puissante comme « Qu’est-ce qui est important pour vous ? » ou « Quand vous aurez atteint votre objectif, qu’est-ce que cela va vous apporter de plus d’important ? ». Vous obtiendrez ainsi la valeur essentielle pour la personne, celle à laquelle elle va se raccrocher et se mobiliser pour atteindre son objectif.
De l’importance du temps du verbe dans la question
Le temps utilisé dans les verbes des questions est également très important et peut renforcer leur impact. Bannissez le conditionnel qui ne donnera que des réponses conditionnelles et donc pas engageantes ni responsabilisantes. Privilégiez le futur qui permet de se projeter dans un état désiré. Au lieu de demander « Que feriez- vous si vous n’aviez plus peur ? », préférez « Que ferez-vous quand vous n’aurez plus peur ? ». Projeter quelqu’un dans un futur de réussite avec une visualisation est extrêmement puissant pour l’inciter à l’action et développer sa motivation : « Comment saurez-vous que vous avez réussi ? Que ressentirez-vous ? Qu’observerez-vous ? Que vous direz-vous ? Avec qui serez-vous ? »
En posant des questions au passé, vous permettez à votre interlocuteur d’identifier et de comprendre les causes de son problème.
Enfin, les questions au présent vont inciter votre interlocuteur à mettre en place les actions nécessaires pour concrétiser son objectif.
Donc, si vous souhaitez débloquer une situation et trouver des pistes d’actions concrètes, commencez par poser des questions au passé (les causes), puis projetez la personne dans la réussite de son objectif avec des questions posées au futur (la visualisation) et, enfin, ramenez-la au présent en statuant sur les actions à mener.
La Questiologie
Une autre technique pour poser des questions puissantes est la méthode de la Questiologie© créée par Frédéric Falisse qui, après avoir modélisé 3 800 questions intéressantes, en a extrait une logique et des critères communs. Cette méthodologie propose de développer une stratégie de questionnement en vous adaptant, dans un premier temps, au profil de votre interlocuteur (les « quatre locus ») :
‒ « observateur » : celui qui va observer, analyser ;
‒ « méta » : celui qui va réfléchir, modéliser, théoriser ;
‒ « introspectif » : celui qui va ressentir des émotions ;
‒ « acteur » : celui qui va agir.
Généralement, nous avons chacun un ou deux locus de prédilection.
En vous adaptant au profil de votre interlocuteur, vous développez une meilleure connexion avec lui, vous débloquez des situations et vous lui permettez de trouver des idées novatrices. Vous développez ainsi votre votre agilité relationnelle.
Si, par exemple, un collaborateur vient vous voir, très en colère, en vous disant qu’il ne supporte plus la relation avec son manager, l’objectif, dans un premier temps, sera de diminuer sa charge émotionnelle en lui faisant prendre de la distance par rapport à son problème et de lui permettre de mieux réfléchir. Puisqu’il est dans un locus « introspectif » (il ressent une émotion), vous allez l’emmener vers un locus « observateur » (analyser la situation factuellement) : « Pour vous, c’est quoi une bonne collaboration ? » Puis, pour l’aider à prendre encore plus de hauteur et à développer sa réflexion, vous allez lui poser une question du locus « méta » : « À quoi pensez-vous quand vous imaginez cette collaboration ? » L’interlocuteur, qui a pu ainsi prendre de la distance par rapport à son émotion, peut maintenant envisager des actions concrètes et réfléchies. Vous pouvez alors décider de lui poser une question « d’acteur » qui va l’engager : « Que pouvez-vous faire pour obtenir une bonne collaboration ? » Et, enfin, pour ancrer sa décision et évaluer sa charge émotionnelle, vous pouvez finir par une question de type « introspectif » : « Comment vous sentez vous avec ça ? » Avec cette stratégie, vous incitez votre interlocuteur à modifier ses schémas de pensée habituels et à trouver de nouvelles pistes de réflexion.
Vous pouvez aussi adapter votre stratégie de questionnement en fonction des cinq étapes de raisonnement de votre interlocuteur. Comme ce ne sont pas les mêmes connexions neuronales qui sont sollicitées, cela permet de développer différentes capacités réflexives. En posant des questions sur chacune de ces étapes de raisonnement, appelées « gestes mentaux », vous allez « bousculer » son cerveau pour qu’une nouvelle connexion se mette en place et génère une nouvelle réponse () :
‒ description des choses ;
‒ perception, appropriation des choses ;
‒ évaluation des options ;
‒ sélection des options, choix ;
‒ intégration des solutions dans une perspective plus large.
En questionnant sur le même sujet mais de manière différente, en adaptant vos questions au profil de l’interlocuteur, vous multipliez votre propension à poser des questions puissantes et vous démultipliez donc votre capacité à obtenir des réponses différentes, plus réfléchies, plus créatives, plus impliquantes.
Pour résumer
Savoir poser des questions puissantes, va donc vous permettre de :
‒ créer du lien ;
‒ d’enrichir la perception du monde de chacun ;
‒ de clarifier un objectif ;
‒ de motiver, d’engager ;
‒ de donner du sens ;
‒ de mettre en mouvement ;
‒ de stimuler une réflexion profonde ;
‒ d’explorer les options ;
‒ de développer l’intelligence collective.
Il s’agit donc d’un véritable enjeu de communication, de leadership et de développement humain à la fois individuel et collectif.
L’art de poser des questions, et donc d’obtenir des réponses plus impactantes, est la différence qui fait la différence dans un monde de plus en plus incertain où l’agilité, l’engagement, la créativité, l’empathie et la coopération sont des compétences comportementales (soft skills) très recherchées.
Sophie Chamayou Degoix
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